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Présentation l’école de La Neuville

En 1973, trois jeunes étudiants armés de beaucoup d’énergie et de motivation —à défaut de toute autre ressource, matérielle ou financière— décidaient de sortir des sentiers battus et de créer une école « pas comme les autres ». Près de quarante ans plus tard, cette école existe toujours. Elle accueille chaque jour un groupe d’enfants dans le cadre d’un projet pédagogique qui a fait l’objet de nombre d’articles, d’ouvrages, de reportages et de films, qui sert régulièrement d’exemple dans la formation des enseignants et des éducateurs, et dont la notoriété traverse les frontières.

L’école a fait école, le projet à la fois fou et modeste de 1973 a donné lieu a quelque chose qui a marqué l’histoire de la pédagogie en restant au cœur de son actualité ; surtout elle a permis de prendre en charge, d’accompagner et d’aider plusieurs centaines d’enfants à grandir. Ainsi, pendant ces trente-sept années, quelque chose s’est passé. L’école est née, son projet s’est affirmé, les contours d’une pédagogie originale se sont dessinés, des pratiques éducatives ont été élaborées. Cependant, si la naissance, l’histoire, la survie et les réussites de la Neuville semblent en faire une école extraordinaire, gageons que, finalement, elle ne l’est pas.

txt presentation 01La Neuville s’inscrit dans un certain ordinaire, celui d’un nombre surprenant d’écoles, de projets, d’actions éducatives dont les créateurs décident qu’ils échapperont au quotidien de l’école dite traditionnelle et que, contre un discours ambiant de désespoir face à la difficulté du métier d’éduquer, il est possible d’agir. La Neuville est une école extraordinaire parmi d’autres, et son exceptionnalité réside dans la capacité de ses fondateurs et de ses éducateurs à trouver, au jour le jour, des réponses simples et concrètes aux défis que représente l’action éducative. Ecole exemplaire donc, plutôt que modèle, la Neuville échappe à tout modèle, et probablement aux siens propres, refusant de se figer dans un dogme, choisissant d’évoluer au fil des évènements, des besoins et des rencontres. Comme dans la leçon de l’école classique, il faut assigner à tout exemple une simple fonction : celle d’illustrer, d’actualiser ou d’exprimer le cas général, la théorie, les principes. Ainsi la Neuville, plutôt que de servir de modèle, sert d’exemple : l’exploration de son histoire et de ses pratiques pédagogiques permet d’identifier un ensemble d’invariants qui doivent permettre aux enseignants et aux éducateurs d’agir dans leur propre contexte d’intervention. Qu’en est-il donc de l’« exemple » en question, quelle est cette école dont nous parlons ici ?

L’école de la Neuville est un internat de semaine, qui accueille du lundi matin au vendredi des enfants âgés de six à seize ans. La Neuville propose un programme complet à ces élèves, dans un environnement dédié offrant un ensemble d’infrastructures et de ressources permettant la pratique d’activités diverses, depuis la classe jusqu’au théâtre.

Ainsi au premier coup d’œil, la Neuville semble remplir les missions de divers types d’établissements : elle est une école, elle tient du « foyer » ou de la « maison d’enfants », elle a des allures de centre sportif et de maison de la culture, elle est un internet autant qu’un centre de recherche. Plus simplement, elle n’est rien d’autre qu’une école, une école cependant qui refuse le cloisonnement et la spécialisation, dans l’esprit desquels chaque tranche de la vie de l’enfant est prise en charge par des « experts », dans des environnements distincts et eux-mêmes spécialisés. La Neuville n’est rien que l’école, cependant elle vise à être toute l’école, prenant en charge tous les aspects de la vie de l’enfant.

txt presentation 02L’école dispose donc de trois classes, la première offrant à un groupe hétérogène en âges et en niveaux le programme des cycles de l’école élémentaire, les deux autres se partageant les programmes des classes du collège. L’ensemble des activités artistiques, culturelles, sportives proposées tout au long de la semaine est considéré comme des éléments essentiels du programme scolaire.

La Neuville est ainsi une « institution totale », et comme toute institution totale, elle n’échappe à la dérive de l’institution totalitaire qu’en tant qu’elle est régulée par des normes, qu’elle ouvre des espaces de parole et de délibération. Elle est ainsi un milieu de vie institutionnalisé, c’est-à-dire traversé et organisé par des « institutions » : des modes de fonctionnement, des principes et des règles, l’ensemble se voulant signifiant et étant négocié au sein du groupe.

Un milieu de vie institutionnalisé, mais un milieu de vie d’abord, tant il est entendu que la qualité de l’environnement, la richesse des espaces, la variété des ressources sont, en tant qu’ils offrent une multitude d’occasions d’expérience et d’apprentissage, une clé de l’action éducative. L’institutionnalisation de ce milieu passe par les lieux de parole et les règlements, mais aussi et avant tout par la manière dont le groupe s’organise pour prendre en charge ce milieu et assurer son entretien. Chacun ici est responsable des travaux, du ménage et de tout ce qui garantit au jour le jour cette « qualité » du milieu.

Pour échapper au cloisonnement et à la spécialisation, cette institution s’appuie sur le travail d’« enseignants-éducateurs », des adultes qui à la fois font la classe, animent les ateliers, assurent au quotidien l’accueil et l’accompagnement des élèves. Chaque adulte prend donc en charge l’ensemble des activités de l’école : faire la classe, animer les activités culturelles ou sportives, assurer l’administration ou la gestion, préparer les repas.

Le moteur de ce projet global, c’est ce que les éducateurs et les enfants nomment la « pédagogie neuvilloise ». Une pédagogie faite du mélange, de l’adaptation des pédagogies de tous types : ainsi les apports de la pédagogie institutionnelle de Fernand Oury jouent dans le projet un rôle important, tout autant que les réflexions issues des échanges qui ont eu lieu pendant plus de quinze ans avec Françoise Dolto. Les éducateurs au fil du temps ont ajouté à cela les apports d’autres courants : on pourrait voir là de la pédagogie de projet, de la pédagogie du contrat, de la différenciation pédagogique, etc. Là encore la pédagogie neuvilloise échappe à la norme, s’actualise en s’auto-aménageant, en mutant, en s’adaptant. Chaque jour, les réflexions de l’équipe, qui se considère, à juste titre, comme une véritable équipe de recherche pédagogique, permettent d’affiner le projet en créant des réponses nouvelles pour s’adapter à des situations inédites.

Qu’est-ce que la Neuville ? Ses élèves ont une réponse simple, qui peut-être vaut bien cette longue description : la Neuville, c’est une école pédagogique…

Sébastien Pesce
Maître de conférence en Sciences de l’Education
Université de Cergy-Pontoise

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